Mon nouveau toy – Médéa Azouri – L’Orient-Le Jour – sam. 16 janvier 10

J’ai cédé. Au chant des sirènes. A la tentation. A la folie ambiante. Je ne sais pas si j’aurais dû. Mais je l’ai fait. J’ai craqué. J’ai été le chercher. Je me le suis approprié. Je l’ai touché. J’ai appris à mieux le connaître. Ce fut compliqué. C’est toujours le cas au début. Alors j’ai joué avec. Toute la nuit. Je me suis confié à lui. Je lui ai confié mes amis, mes photos, quelques unes de mes chansons… Depuis, nous sommes inséparables. Il m’accompagne partout. Me fait vibrer. Sa lumière m’obsède. Ce point rouge m’attise… Mon Blackberry est mon nouveau joujou. Mon toy à moi. Mon gadget du moment. Des années après les Etats-Unis et l’Europe, le Liban a succombé aux charmes de ce Smartphone destiné au départ à un usage professionnel. Moi aussi. Nous aussi. Mais pas nous tous. Car dans la grande famille des dépendances et des téléphonites aiguës, il subsiste encore quelques résistants. Ceux accros à la pomme, à l’interface extraordinaire du bébé de Steve Jobs, au plus inventif des mobiles : le iPhone. Et les autres. Tous les autres. Ceux qui n’ont besoin que de composer et de recevoir. De parler uniquement. Brièvement. Ceux-là ne comprennent pas bien, au juste, de quoi il s’agit. Pourquoi un tel engouement ? Pourquoi cette volonté de plonger dans une addiction dont il sera très difficile de sortir ? Pourquoi un tel désir de rester en contact, connecté, lié ? Quelle est donc l’origine de ce plaisir étrange qui gagne de plus en plus de gens, de s’exhiber, de montrer le flanc de son intimité, d’être suivi, épié en permanence. Entre Facebook, Twitter, What’s up et le BBM, exit la privacy. On ne sort plus sans son téléphone. On ne mange plus sans son téléphone. On ne conduit plus sans son téléphone. On ne travaille plus sans son téléphone. On ne dort plus sans son téléphone. Qui fait office d’outil de communication certes, mais également de réveil-matin, de navigateur internet, de machine à écrire, de chercheur musical (ça c’est énorme) ou de tue-moustiques… Nous sommes devenus tellement accrocs à nos téléphones portables, qu’il y a aujourd’hui un sacré malaise. Ce toy aussi ludique soit-il, est en passe d’être un véritable objet de torture. Et tous les supplices sont permis. Rien qu’avec un doigt. Un index qui tape, un pouce qui roule sur le trackball ou glisse sur un écran. Un doigt qui ne caresse plus, mais tripote. Nous sommes tout simplement, insortables. Car à force de vouloir ne pas rater une bribe de ce qui se passe sur notre réseau social, nous en sommes arrivés à un niveau extrême d’asociabilité. Il suffit juste d’observer nos nouveaux comportements pour comprendre que plus le temps avance, plus l’être humain devient immobile lorsqu’il s’agit de son mobile… Lors d’un tête-à-tête amoureux/amical, les yeux des protagonistes passent du visage de l’un à l’écran de l’autre. Bonjour l’enthousiasme. L’intérêt porté à l’autre. Quid de l’un ou de l’autre criera victoire. Je t’aime/Allô ? Qu’est-ce que tu prends en entrée/J’update mon status. Tu viens chez moi ?/Attend on me BBM. Tant qu’à faire, autant ouvrir un magazine à la face de l’autre, s’endormir ou mettre les écouteurs de son lecteur mp3 dans les oreilles, c’est tout aussi élégant. Et le phénomène va aller en empirant. Déjà que les enfants ont leur propre ligne de cellulaire (on ne va tout de même pas les marginaliser à nos gosses quand toute leur classe de 5e communique par sms) et les ados leur Blackberry (ils en ont absolument besoin), on n’est pas sortis de l’auberge. Adieu le simple coup de fil. La voix qui chuchote, ronronne, cajole. Aujourd’hui, je te tease via mes status sur Facebook (for mobile bien sûr), je te séduis en jouant sur les mots grâce à MSN – pour Smartphone et autres androïdes, je te quitte par un léger glissement de doigt sur mon touch screen. Et quand demain viendra, et que l’on pourra regarder convenablement la télé sur nos téléphones, louer un dvd, faire sauter du pop-corn, prendre des couleurs via des UV à même l’écran, perdre des calories ou muscler ses cuisses grâce à des vibrations, on n’aura plus besoin de grand chose. Bienvenue dans le monde merveilleux de la nouvelle téléphonie mobile. Ah, mince, je n’ai plus de réseau…

Saison (pas)morte – Médéa Azouri – L’Orient-Le Jour – samedi 9 janvier 10

Les fêtes sont désormais, bel et bien, terminées. Sensation aigre douce qui nous prend en ce début 2010. Une sensation étrange de soulagement et d’amertume. Il est vrai que cette période est finie mais finalement, elle était sympathique cette folie ambiante. On avait le choix. Sortir, faire la nouba ou rester chez soi, à la maison comme quand il pleut et qu’on glande sans remord aucun. L’énergie était différente. On a vu tout le monde. Peu sûrement. Mais tout le monde. Les proches. Les moins proches. Ceux qu’on aime. Et ceux moins. Des Père Noël, des lutins, des rois mages, des vendeurs, des serveurs, des chanteurs, des gens du travail, des cousins, des connaissances, des perdus de vue, des expat, des touristes… bref tout le monde. Puis comme par enchantement, une fois sonné le glas du 4 janvier, tout ce beau monde est rentré. Et tout est rentré dans l’ordre. L’ordre du « normal ». Et là, on cuve. On cuve notre vin, notre champagne, notre foie gras, notre bûche, notre galette des rois/reines… on cuve tout, tout simplement. Il fait beau, la saison du ski n’a toujours pas commencé, l’école a repris, le travail aussi. Le rythme ordinaire, en somme, d’une journée de janvier, d’une semaine de janvier. On appelle ça communément une saison morte. Comme c’est dommage de la nommer ainsi cette période de l’année. La saison est peut-être morte mais nous, on se sent étonnamment en vie. En vie, tout d’abord parce qu’on respire. On ne court plus contre la montre. On ne cherche plus à optimiser notre temps, on le prend. On dort. Plus. Mieux. On traîne aussi. Et on retrouve nos endroits favoris. Un peu plus vides. Plus allégés. Plus intimes. Les restaurants ne sont plus bondés. Les rues sont moins chargées. Les magasins ont affichés les soldes. On peut donc chiner à loisir. Se faire plaisir. Acheter un truc pas forcément utile. Un pièce qu’on avait repérée. Une paire de boucles d’oreille. Un nouveau Blackberry. Un livre. Qu’on aura le temps de lire, enfin. En vie nous sommes, parce qu’elle a repris, notre vie, son cours normal. Et nous voilà donc face à tous les possibles. Toutes les possibilités. On peut faire autre chose. Quelque chose de nouveau. De frais. De différent. On peut se (re)mettre au sport. Entreprendre une activité sociale ou bienfaitrice. On peut se concentrer sur nous-mêmes. Faire un régime bien sûr. Une détox. Purifier son corps. Le faire masser. Le chouchouter. Le dorloter. On peut donc manger mieux. Plus sain. Moins vite. Moins pressé. Savourer un steak tartare (et des frites) à midi sans penser à ce qu’on dînera le soir. On peut aller au théâtre, au cinéma. Sans qu’il y ait foule. Louer un dvd. Regarder une saison complète de la dernière série à la mode. Revoir un Pasolini. Acheter un cd et l’écouter dans son intégralité, les pieds en éventail sur la table basse. On peut s’occuper de la maison. Faire les brocantes et les galeries. Se faire plaisir en rapportant un meuble, un fauteuil, une lampe. C’est que le sapin n’orne plus le salon, qui respire, comme nous, à nouveau. On peut s’offrir quelque chose, à nous, dont on a toujours rêvé. Se mettre au tricot, voire au crochet. On prend son congé annuel. Maintenant. Maintenant que plus rien ne bouscule. On voyage. À Paris, à Londres, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud ou même en Afrique et pourquoi pas en Inde. On peut repartir à la découverte du Liban. De ses régions. De ses montagnes et ses forêts. Ne pas forcément attendre la neige pour profiter de l’air des hautes altitudes. On peut déménager. Changer d’appartement. De lieu. De ville… Les voilà tous les possibles. On se recentre sur nous-mêmes en nous accordant du temps. En accordant du temps aux autres. En faisant de nouvelles rencontres. Intéressantes et/ou superficielles à la fois. On peut (re)tomber amoureux. Ecouter l’autre. Entendre l’autre. On peut continuer une histoire qui avait débuté durant les fêtes. Avec moins de frénésie. Plus de douceur. On peut entreprendre une correspondance. Créer un blog. Se mettre à l’écriture. Prendre des photos. On peut chercher un nouveau travail. Quitter l’ancien. Ou retrouver ses marques. Tout naturellement. Voilà pourquoi cette saison est tout sauf morte. Elle est vivante et nous réconcilie avec nous-mêmes. Un soi-même plus apaisé. Plus serein. Un soi-même qu’on avait un peu oublié, négligé, fracassé. J’aime le mois de janvier.

2010 (+ 2 = 2012) – Médéa Azouri – L’Orient-Le Jour – vend. 1er janvier 2010

Bonjour. Et surtout bonne Année. Nous sommes le 1er de l’an. Difficile, le réveil ? Vous vous sentez comment exactement ? Vous avez un peu mal a la tête hein ? Les lendemains de fêtes sont ce qu’ils sont et même si hier ça a été une soirée plutôt calme et que ce matin vous n’avez ouvert ce journal qu’à midi, la période des fêtes est toujours très « hectic » comme on dit. Bousculés, agités, pressés, nous l’avons sacrément été ces derniers jours… La nouvelle année commence donc avec cette douce et agréable sensation de repos et surtout de calme. De grand calme. D’ici quelques jours, finis les embouteillages, le stress, les invitations, les gens, les prises de tête et autres becs. Voici venu le temps des bons sentiments. Des vœux joyeux. Des souhaits sirupeux et des bonnes résolutions. Avec la gueule de bois du 1er au matin, on a envie de les tenir, ces résolutions. C’est que le foie est gras, les veines sont imbibées : Veuve/vodka/whiskey, la tête est enfumée. Alors voilà, on se prend en main. On fait quoi cette année ? On va faire quoi de nouveau ? De bien ? De différent ? Pas grand-chose, comme d’hab. Toujours est-il qu’en ce premier matin de 2010, en ce premier jour de cette nouvelle décennie qui s’offre à nous, on a terriblement envie de faire des efforts. Et finalement c’est ce qui compte. L’envie de. Après, ce qui restera, on s’en fout un peu. On réitèrera le même processus l’année prochaine. Il n’en reste pas moins que cette année, on va devoir les faire, ces choix. Peu cornéliens certes, mais des choix quand même. Quel BB sera-t-on ? Bling Bling ou BoBo ? Je t’en mets plein la vue ou plein la tête ? Abdel Wahab ou Mar Mikhail ? Dans une maison blanche ou derrière une porte verte ? Brigitte Bardot ou Benjamin Biolay ? Je serai les deux à la fois. Un peu de l’un (quand il le faut), beaucoup de l’autre (comme il se doit). Et je serai bien. Tellement bien que j’arrêterai la cigarette, mais je ne ferai pas de sport pour autant. Je ne serai plus cet(te) insupportable gossip girl/boy, mais je ne dirai rien de bien des gens. Non plus. Je me focaliserai sur l’essentiel et je me payerai de sublimes chaussures hors de prix. Je me remettrai à la littérature russe et je continuerai à dévorer des Harlequin. J’irai à des concerts undeground et alternatifs comme Pony Pony Run Run mais je persisterai à écouter « Words » de F.R. David à fond dans mon iPod. Je me referai une série de Bunuel et je me rematerai La Boum sans aucun complexes. Je deviendrai un peu plus english educated, mais je serai toujours une véritable titinette parisienne. J’écrèmerai mes amitiés mais je laisserai quelques bouffons pour m’amuser. J’épouserai une femme « bien » et je succomberai aux charmes de la petite vulgaire du coin. J’entamerai une psychanalyse en continuant à emmerder mes copains avec mes histoires. Je me lèverai tôt le matin et je continuerai à faire la bringue jusqu’à des heures indues. Je serai soumise et forte à la fois. Je serai tendre et pourtant si viril. Je me laisserai pousser les cheveux mais je raserai ma barbe. Je ne boirai plus de vodka, je me mettrai au lait. Je mangerai des légumes mais pas des fruits. J’arrêterai de chatter sur Msn et je m’achèterai un Blackberry (ou un iPhone). Je prendrai des cours de théâtre et je continuerai à chanter comme une casserole. Je visiterai les villages inconnus du Liban, avec un chauffeur. Je me mettrai à la marche sur mon treadmill. Je serai plus présent avec mes enfants, je jouerai avec eux à la Wii. Je ferai du bénévolat, avec mes copines. Je me mettrai au régime, mais juste les lundis. J’améliorerai mes status sur Facebook, mais je n’arrêterai pas d’envoyer des mails en chaîne. Je mettrai le feu à Beyrouth, à ses dancefloors desabuses surtout… Je pense que c’est bon là. Je pense m’être rachetée une bonne conduite. Elle va être positive cette nouvelle année. Elle risque d’être bien finalement, cette nouvelle décennie pleine de promesses, tant qu’on tiendra les nôtres. Et puis que risque-t-il de nous arriver? Franchement! On a quasiment connu tous les pires. Faut juste nous laisser tranquilles. Pour qu’on puisse continuer à recevoir tous ces gens d’ici et d’ailleurs qui viennent nous envahir ou pas. Pour qu’on puisse continuer à faire la fête, à être la destination numéro 1, à grandir encore et encore. Et puis, il nous reste quoi, deux ans avant 2012 ? Deux ans avant la grande apocalypse ? En deux ans, nous sommes capables d’infiniment de choses… nous les Libanais.

Noël spirit – Médéa Azouri – L’Orient-Le Jour – vendredi 18 décembre 09

Que s’est-il passé ? Que s’est-il passé pour qu’un jour, on décide qu’on n’aimait plus Noël. Qu’on n’aimait plus cette période, pourtant remplie de cadeaux et de bons sentiments. Pourquoi se sent-on si « cranky », déprimé, fatigué. Alors que tout ne devrait finalement n’être que sourire et joie. C’est étrange comme cet esprit de Noël a changé avec les années. Comme il nous a quittés peu à peu. Tino Rossi a vieilli. Les sapins quand ils ne sont pas artificiels, ont perdu leur odeur. Et les cadeaux se font moindre… C’est peut-être donc ça ! Moins de cadeaux. Moins de paquets à ouvrir. Parce que, malheureusement, le Père Noël s’est fait la malle. La voilà donc l’origine de cette angoisse. On nous fait croire pendant quoi, six, sept ans que dans la nuit du 24 au 25, un mystérieux bonhomme habillé couleur Coca-Cola (c’est la marque de Soda qui a apposé son rouge et blanc sur un poster publicitaire où figurait Santa Claus, initialement habillé de vert) viendrait sur un traîneau tiré par des rennes, déposer des joujoux par milliers au pied de la cheminée. Puis un jour, on réalise que tout ça c’est de la foutaise. Des mensonges. Comme avec la petite souris. Bonjour la confiance. Il y a des parents qui se demandent ensuite pourquoi leurs enfants leur racontent des balivernes. Fallait juste donner le bon exemple. C’est tout… C’est peut-être aussi la faute à Andersen. Il devait être bien fracassé quand il a pondu La petite fille aux allumettes, qu’on nous ressert à toutes les sauces durant les fêtes : dessin animé, film, (re)lecture du conte. Il était probablement gravement déprimé Andersen, mais était-il obligé de nous contaminer avec l’histoire de cette petite fille qui passe Noël seule, dans la rue et finit par mourir de froid (sic). Glauquissime. Si on n’aime plus vraiment Noël, c’est peut-être aussi parce qu’à l’instar d’une Saint-Valentin sans amour, on a tellement de cadeaux à acheter, qu’on finit par le faire non seulement sans enthousiasme mais surtout avec ras-le-bol. « On doit » et il est là le problème. Ce devoir qui manque totalement de spontanéité. Comme la soirée de la Saint Sylvestre… On doit acheter des cadeaux. Trouver la perle rare. Essayer de faire plaisir. Et bien sûr, casser sa tirelire. Si on n’aime plus Noël, c’est peut-être également parce cette période ressemble étrangement à un jour sans fin. Les invitations et les repas se suivent et se ressemblent. Foie gras, saumon, bûche. Papa Noël sous une tonne de polyester pour des Christmas partys qui n’en finissent plus. La famille. La proche, l’éloignée, celle du conjoint. Et on jongle. Le 24 avec les uns, le 25 on ménage la susceptibilité des autres. On fait des concessions. Des efforts. Cette année, il y a des nouveaux venus. Un fiancé, une jeune épouse, un copain venu de l’étranger. Il y a aussi ceux qui ne sont plus là, ceux qui ont vieilli. Et ceux qu’on n’aime pas forcément… C’est peut-être aussi pour ça qu’on a du mal avec Noël. Parce que pendant cette période, on n’arrive quasiment pas à voir ceux qu’on aime. Happés par les courses, les invitations, les dîners de famille, les foires, les gens de l’étranger à voir, les expositions, on n’a pas le temps. On n’a pratiquement parlant, plus le temps. Puis on perd nos repères. On ne va plus aux mêmes endroits. Bondés. On ne trouve pas de places dans les restos. Bondés. On fait les derniers achats dans une atmosphère différente. Une espèce de truc envahissant. C’est ça aussi le problème. On a cette curieuse impression que durant les fêtes, on subit en quelque sorte une invasion. On se tape la pluie, les embouteillages, les queues. Rien que l’idée que les fêtes ont commencé, qu’on doit farcir la dinde, décider de monter à Faraya ou pas, voir ce qu’on va faire le 31 au soir, booker des soirs pour tenter de se voir, essayer de savoir où et comment… on stresse. Et puis les fêtes exacerbent les sentiments, les sensations, les ruptures, les départs, les deuils. A moins d’une semaine de la grande liesse, le principal est de se ressourcer. De ne tirer que le meilleur. De voir le verre à moitié plein. Et de profiter de tout ce que Noël peut offrir de beau. Comme cette extraordinaire contagion que peut provoquer le regard d’un enfant émerveillé le 25 au matin quand il aperçoit cette montagne de paquets sous le sapin illuminé. Une fois venu ce moment, tous les ressentiments des jours précédents se volatilisent en un seul instant. Et elle est là, la fameuse magie de Noël.

L’art de la vulgarité – Médéa Azouri – L’Orient-Le Jour – samedi 12 décembre 09

Il y a quelques jours, le JT de France 2 titrait la chose suivante : Liban, capitale mondiale de la chirurgie esthétique. On surpasserait donc le Brésil. Ce n’est pas très étonnant qu’on soit classés numéro 1 en chirurgie plastique. C’est quoi le ratio ? Un libanais sur deux ? Deux sur trois ? Trois sur quatre auraient eu affaire au bistouri ? Nez, seins, pommettes, liposuccion, botox. Il suffit de feuilleter un des magazines mondains de la place pour se faire une idée du pourcentage esthétisé des femmes (et des hommes) au Liban. Ces bibles de la mondanité libanaise que l’on lit avec délectation chez le coiffeur, le cheveu blanc enseveli d’une couleur blond platine, sont de vraies cavernes d’Ali Baba. Elles recèlent de véritables joyaux pour les yeux et suscitent quasiment toutes les réactions possibles de l’étonnement au rire en passant par la consternation. Mais ce n’est pas du point de vue de la chirurgie esthétique que le bât blesse. Au contraire, elles sont belles nos libanaises. Ils sont beaux les Libanais. C’est plutôt du côté de cette extraordinaire particularité, spécifique à certains libanais et libanaises que les choses se corsent : la vulgarité. Cette absence de raffinement que l’on retrouve chez un grand nombre de nos compatriotes. Vulgarité dans l’attitude, vulgarité dans le vêtement, dans le maquillage, vulgarité dans le propos. La vulgarité locale serait une espèce de combo : Pamela Anderson slash Priscilla queen of the desert pour les femmes, Aldo Maccione slash Jean-Marie Bigard (en libanais dans le texte) pour les mâles. Exquise combinaison quasiment parfaite qui lierait le physique à la parole et qui décrirait avec justesse le/la vulgaire. Presque personne ne tolère vraiment être qualifié de vulgaire. Difficile à assumer et à revendiquer surtout. Pourtant la vulgarité est un art. Un art à part entière qu’il faut digérer convenablement avant de le recracher à la figure des gens. C’est une façon d’être, de se comporter très particulière. Il y a un code vestimentaire, un code de conduite, de langage. C’est compliqué d’être vulgaire. De mâcher son chewing-gum la bouche ouverte, de mouler ses seins dans un top trop petit, trop court, trop léger. De marcher toute une journée avec des talons de 13 centimètres, engoncée dans un jean’s ultra serré qui fait ressortir les bourrelets et provoque des spasmes. Compliqué d’exhiber son poitrail poilu sous une chemise blanche largement entrouverte malgré le froid, de coincer ses pieds dans des boots ultra pointues qui remontent à l’avant, de gominer ses cheveux et de faire en sorte que ça tienne même si on plonge dans la piscine. C’est que le/la vulgaire est toujours too much. Et être too much demande des efforts considérables qu’on a tendance à négliger. La vulgarité est un art, parce que, malgré quelques stéréotypes, la vulgarité n’a pas de style. La vulgarité est un style. On peut être habillée en Chanel de la tête aux pieds et être vulgaire. Si la classe ne s’achète pas, la vulgarité elle, nous le fait bien payer… La vulgarité, c’est une attitude. Facile à atteindre mais difficile à gérer. C’est en quelque sorte un détail qui ferait passer les gens wanna be sexys de l’autre côté du miroir. Du côté obscur de la force. Cette micro-frontière est pratiquement imperceptible. Ce serait par exemple le glissement du film érotique au porno. D’un Pierre Palmade à un Jean-Marie Bigard, d’une vanne subtile à une blague cochonne, d’un panty en dentelle noire à un string en polyester, d’un escarpin Louboutin à une plateforme compensée Louboutin également, des poignets d’amour à un ventre bedonnant, des tempes grisonnantes style George Clooney à une teinture noir corbeau sur calvitie naissante. Et la pièce maîtresse de cette philosophie si spéciale, serait le langage. Ce langage non châtié constitué des insultes les plus riches et les plus violentes de tout le dictionnaire mondial. Quelle aisance doit-on avoir pour sortir lors d’un dîner des grossièretés, des phrases qui contiennent toutes sortes de qualificatifs reliés au sexe masculin, sorte de « fuck » libanais employé à tout va. Il faut le vouloir. Et surtout le pouvoir… Faut l’faire. Surtout quand on est une femme. Lancer naturellement un « Ay… fik » sans ciller de cet œil poudré d’ombre couleur turquoise, sans le moindre doute, sans la moindre hésitation. C’est un art que d’être vulgaire…

Marche tout droit – Médéa Azouri – L’Orient-Le Jour – sam. 5 décembre 09

Il se murmure depuis un moment que Beyrouth, que Tripoli, que Saida, que Zahlé, que le Liban tout entier, serait en passe de devenir non-fumeur. Le Liban, pays de toutes les excentricités, de toutes les folies, de tous les vices, de toutes les vertus. Le Liban, lieu de rencontres cosmopolites, haut lieu de la nuit, destination touristique par excellence deviendrait d’ici quelques mois une zone non fumeur. No way. Impossible. On ne pourrait plus s’en griller une après avoir déjeuné ? On n’aurait plus le droit d’allumer une cigarette en sirotant son verre de vodka ? Sa flûte de Veuve ? Son Martini shaken but not stirred ? C’est une blague le Liban non-fumeur. Une grosse blague. De mauvais goût d’ailleurs. Comme l’haleine d’un fumeur. De très mauvais goût. Ca ressemblerait à quoi une Beyrouth sans cigarette ? Une ville fantôme ? Une ville vidée de ses clubbers ? Une ville dénuée de liberté en somme. Déjà qu’elle en est privée d’un grand nombre. Il ne manquait plus que ça. Qu’on s’en prenne au droit de fumer. Ca ne correspond à rien cette idée. Et la arguilé ? On l’interdirait aussi bien évidemment. Et ça donnerait quoi un resto libanais sans arguilé m3asslé ? Le concept est saugrenu. Déjà qu’on n’a pas une grand marge de liberté, si en plus on doit aller fumer dehors alors qu’il n’y a pas des trottoirs partout. On va avoir l’air fin. C’est qu’on n’a quasiment plus beaucoup de droits. On nous interdit de plus en plus de choses. Beaucoup trop de choses. Alors à l’instar d’un Frédéric Beigbeder dans son dernier ouvrage, Un roman français, il serait temps qu’on revendique certains droits. Pas les basiques, les essentiels, les nécessaires, les vitaux. Ceux de la Constitution, ceux des Droits de l’Homme. Non non. Il s’agirait plutôt de nos droits superflus, accessoires, secondaires, qui pourraient être bien plus utiles que les premiers. « Le droit de tomber bien bas, le droit de couler à pic ou le droit de faire l’amour sans préservatif avec des personnes acceptant de courir le risque » déclare l’auteur de L’amour dure trois ans ? Et bien, revendiquons-en d’autres. Le droit de dire du mal de sa pire amie ou de sa meilleure ennemie sans être traitée de langue de p… Le droit de ne pas avoir inscrit son gosse à plusieurs activités sans passer pour une mère indigne. Le droit de pleurer en public sans qu’on ait pitié de nous. Le droit de jouer au poker trois ou quatre fois par semaine sans être taxé de 2amarjé. Le droit d’aller à un mariage en jean’s et baskets. Le droit de porter des Louboutin et une mini jupe pour aller faire ses courses au supermarket. Le droit de boire jusqu’à la lie sans être traitée de pocharde parce qu’il n’y a rien de plus laid qu’une femme bourrée et il n’y a rien de mieux que de l’être. Le droit de sortir la tête décalquée, le cheveu gras, l’œil éteint dans un resto chic de la ville sans être qualifié de plouc. Le droit de harvester ma ferme dans Farmville sans passer pour un idiot. Le droit de ne pas s’excuser quand on a un dîner sans paraître impoli. Le droit de regarder Grey’s Anatomy jusqu’à 5 heures du mat sans être pris pour un malade. Le droit de ne pas se lever le matin sans prendre le risque de se faire virer de son boulot. Le droit de sortir avec une femme plus âgée de 20 ans sans être traité de gigolo. Le droit de sortir avec un homme plus jeune de 20 ans sans être traitée de vieille peau. Le droit de danser sur « Les sunlights des tropiques » sans passer pour un ringard. Le droit d’insulter à tout va quand on est une femme sans être qualifiée de vulgaire. Le droit de dire une vacherie sans que l’autre ne se fâche. Le droit de manger de l’ail avant d’aller en boîte sans gêner personne. Le droit de sortir connerie sur connerie lors d’une occasion mondaine sans être banni du cercle social. Le droit de se cacher sous la couette pendant une semaine sans rendre de comptes à personne. Le droit de ne pas aller à l’école. Le droit de manger du Nutella sans prendre de poids ni avoir une irruption de boutons. Le droit de sortir avec plein de garçons sans passer pour une fille facile ni une garce. Le droit d’aimer Claude Barzotti sans honte aucune. Le droit de porter un taille 40 sans être taxée de grosse. Le droit de dire qu’on hait sa vie sans qu’on dise de nous qu’on est ingrat. Le droit de claquer la porte et de partir en voyage, sans penser à la logistique de la maison et des enfants. Le droit de dépenser tout son salaire sur une paire de chaussures sans penser au lendemain… Je continue ?

Je t’aime moi non plus – Médéa Azouri – L’Orient-Le Jour – sam. 21 novembre 09

Bonjour. S’il vous plait. Merci. Je vous en prie. Je suis désolé. Pardon. Au revoir. Depuis tout petit, on nous bassine les oreilles avec toutes les choses qu’on doit dire et ne pas dire. Les formules de politesse, les gros mots à proscrire, les mots doux à prescrire. Tout ce qui fait l’art d’une conversation respectable, une conversation comme il faut. On nous dit et redit de ne pas insulter les gens, de tourner sept fois notre langue avant de sortir une grossièreté. Bref de faire attention à notre langage. A la maison, à la garderie, à l’école. Le dialogue doit être basé sur la courtoisie et la diplomatie est de rigueur, bien souvent. Puisqu’on ne doit pas toujours dire ce que l’on pense. Malheureusement à force de retenue et de pudeur mal placée, on a fini par quasiment ne plus rien dire. On ne se parle plus. On communique mal. Et on décide d’ouvrir la bouche que lorsque ça ne va pas. Quand ça va mal. Quand il y a un conflit à régler. Là on devient prolixe. Bavard. On trouve le temps. Le moment. La peine. On trouve les mots justes pour reprocher à l’autre l’erreur qu’il a commise. On sait devenir blessant. On dit tout haut ce qu’on taisait tout bas. Qu’est-ce qu’on sait parler quand il y a un problème. Une sale chose à dire. On décroche son téléphone. On allume son ordinateur. Et on balance. Tout ce qu’on a dans les trippes. Dans le cœur. Idem quand on veut déblatérer sur quelqu’un. Y a toujours quelque chose à dire de négatif. On est passé maître es potinage et les mots sortent si facilement que Le Petit Robert pourrait aller se coucher. Elle est laide, tu as grossi, il a mauvaise mine, ils ne sont pas en forme, ils ne vont pas bien, elle a l’air triste, ils divorcent… Pourtant on nous avait bien prévenus : ne blasphème pas. Ne t’emporte pas. Reste poli. Ne dis pas du mal. « Celui qui a une maison en verre… ». On a tout oublié pour ne garder que le mauvais. On est certes civilisé quand il le faut. Mais de moins en moins souvent. Micro agressions en permanence qui nous rendent irascibles. Une voiture en contre sens, un type qui vous lance une phrase salace, une vendeuse qui vous reçoit mal. Difficile de rester courtois dans ces conditions. De ne pas se lâcher en propulsant des invectives en tous genres. Effacés les conseils de maman, de papa, de la maîtresse. Quand le sang ne fait qu’un tour… C’est tellement facile tout ça. Dire du mal, s’emporter, insulter. Tellement plus facile que d’ouvrir son cœur. Dire « je t’aime » est devenu un acte courageux pour certains, niais pour d’autres. D’aucuns le disent à tout va. D’autres ne peuvent prononcer ces trois mots. Et voilà où nous en sommes aujourd’hui : on ne dit pas assez aux gens qu’on aime qu’on les aime. On ne leur dit pas assez qu’ils comptent pour nous, qu’ils nous ont touchés, aidés, soutenus. On ne leur dit pas assez qu’ils sont beaux, rayonnants, en forme. On ne prend pas son téléphone pour dire à une amie combien on l’aime. A une occasion peut-être, sur une carte d’anniversaire et encore. D’ailleurs on ne s’écrit plus. On communique par petites phrases. On envoie des sms au langage écourté. On commente des statuts sur Facebook. On envoie des mails qui disent qu’il faut aimer la vie, ses proches et d’autres conneries du genre. Mais on est incapable de dire en face à quelqu’un qu’on aime qu’on l’aime. Il y a un monde entre ce qu’on dit et ce qu’on devrait dire ou ce qu’aurait pu dire. C’est bien dommage. On ne dit pas « tu me manques » mais « tu nous manques », « chta2nelik » ou encore « miss you ». C’est que la langue de Shakespeare est plus facile. Moins forte. On dit plus facilement « love u » que « je t’aime ». On préférera le « t’aime » qui n’implique pas le « je ». On est fréquemment lâche face à l’expression de ses sentiments. On préfère abréger ces instants. C’est ainsi que maladroitement la sensibilité laisse place à la sensiblerie. Et un jour on le regrette. On se fâche. On dit des choses qu’on n’aurait pas du et on ne revient pas sur ses paroles. On ne pardonne pas. On s’enfonce dans une rancune stérile qui ne nous aidera en rien. Et le temps passe. Sans qu’on ait pu dire « je suis désolé ». Sans rédemption aucune. Disons le donc avant qu’il ne soit trop tard. Sans que cela soit sirupeux ou guimauve. Sans bons sentiments faciles, ni romantisme à deux balles, ni niaiserie : Merci d’exister. Je t’aime. Je vous aime.

Birthday girl – Médéa Azouri – L’Orient-Le Jour – sam. 14 novembre 09

Il y a des années avec. Il y a des années sans. Avec ou sans envie de célébrer son anniversaire. Avec ou sans surprise. Avec ou sans joie… Mais avec des cadeaux. Plein de cadeaux. Des fleurs. Des bijoux. Un sac, des chaussures. Un geste. Rien qu’un petit geste. Il y en aura. Comme chaque 365 jours. Il y aura des baisers. Des appels. Des messages. Et des larmes aussi. Car cet annuel rituel peut paraître insupportable parfois. Un anniversaire. Une année de plus. Encore une. A quoi bon ? A quoi bon rappeler à notre bon/mauvais souvenir qu’on prend de l’âge, de la bouteille. A quoi bon fêter ça en grandes pompes. A quoi bon commémorer ses rides ? Souffler des bougies au milieu d’une salle remplie de monde, quelques serveurs autour qui entonnent sans entrain un « Happy birthday to you ». Quel grand moment de solitude. Tous ces gens qui vous regardent tandis que le cd passe en boucle les versions anglaise et française de « Joyeux anniversaire ». Et vous, planté là, le couteau tourné à l’envers dans la paume, regardant la cire couler sur le glaçage au chocolat de votre gâteau préféré. « Joyeux anniversaire ». Avec une faute dans l’orthographe de votre prénom. Il y a des années sans. Sans enthousiasme. Parce que c’est comme ça. L’année précédente, ce fut une grande party, organisée par vous-même, avec DJ et finger food, spotlights et boule disco, champagne et vodka qui coulaient à flot tandis que les slows terminaient la soirée. Ce fut une année avec. Cette année sera (peut-être) sans. On verra bien l’an prochain, de quoi sera faite cette sempiternelle commémoration. Il fut pourtant un temps où cette célébration était une fête. Remplie de cotillons et de sourires. Un gâteau fait maison qui orne la table, entouré d’une taboulé et de petits pains libanais fourrés au poulet et à la mayonnaise. Une fête où les ballons côtoyaient les serpentins. Où la famille avait une présence nécessaire. Où les papiers d’emballage traînaient par terre. Aujourd’hui, les cadeaux s’ouvrent ensuite. Après la fête. Seul(e) dans sa chambre. On lit les cartes, on remercie par sms et voilà. Avant, on recevait quelques amis qu’on pouvait dénombrer sur les doigts des deux mains. On jouait à un jeu de société, à cache-cache. On mettait un peu de musique et le tour était joué. Aujourd’hui, quand on a 4 ans, on reçoit une quarantaine de personnes, soit quatre fois dix doigts. Les mamans, les nounous (toujours plus nombreuses que les mères d’ailleurs). Soit huit fois dix doigts. Tout ce beau monde se retrouve (jamais à la maison), dans une salle de location, dans un playground ou dans le jardin de la grand-mère. Le buffet vient de chez un caterer branché (et cher) que les enfants ne toucheront quasiment pas et dont les assiettes remplies à ras-bord par les nounous, finiront telles quelles à la poubelle. Après moult animations, jeux et activités, les enfants surexcités par une musique destinée au départ à des jeunes gens friands de raves et d’extasy, se rueront vers la maîtresse de céans pour réclamer leur cadeau de retour. Que restera-t-il de ces anniversaires ? Quels souvenirs, à part quelques instantanés pris ici et là, subsisteront ? Les anniversaires ne sont plus ce qu’ils étaient, c’est un fait. Mais il y a quand même du bon dans tout ça. Parce qu’il y a du bon partout. Il y a du bon dans un anniversaire. Il y a les coups de fil qu’on n’attendait pas, qu’on n’attendait plus. Il y a des messages sincères, des mails plein de tendresse. Il y a des cadeaux qui font réellement plaisir. Il y a des amis qui ne vous laisseront jamais tomber. Il y a des fleurs qui viennent de la part d’un inconnu. Il y a un bracelet qui habillera longtemps votre poignet. Il y a une soirée improvisée où se retrouvent tout un tas de gens qui ne se connaissent pas vraiment. Il y a le bouchon d’une bouteille qui fera « pop ». Il y aura des embrassades, des prises dans les bras, des enlacements, des baisers volés et des sourires. Parce que dans les anniversaires, les plus heureux sont souvent les autres. Ceux qui vous célèbrent. Ceux qui courent les magasins dans l’espoir de vous faire plaisir. Ceux qui commandent votre gâteau personnalisé. Ceux et celles qui vous témoignent une fois encore, leur amitié ou leur amour. Et ces sourires-là, valent tous les cadeaux du monde.

Blues d’automne – Médéa Azouri – L’Orient-Le Jour – sam. 7 novembre 09

Comme il y a le ménage du printemps, il y a le spleen automnal. Cette espèce de « 3ab2a » gagne tout un tas de gens dès lors que les mois d’octobre et de novembre apparaissent sur le calendrier. Cette entre saison, ni vraiment chaude, ni totalement froide a le don de déstabiliser tout le monde. On a le blues. Une boule dans l’estomac. On se sent tour à tour épuisé, énergique et à nouveau esquinté. On n’a envie de rien ou de pas grand-chose. On traîne la patte. On laisse la pluie fouetter notre visage et le soleil nous donner chaud. On appréhende l’hiver. La neige. Noël. On angoisse. On pleure. On déprime. Et on râle. Qu’est-ce qu’on râle. On se plaint de tout : de la pluie qu’on attendait impatiemment, du soleil qui revient trop fort, des réveils matinaux, du changement d’heure, des dîners en cours de semaine, des soirées déguisées. Et du fait que tout le monde a la crève. Grippe froide, trachéite, angine, nez qui coule, sueurs insupportables, migraines, gastro… bref tout le toutim quoi. A ce stade là, on ne râle plus, on gémit. C’est l’automne. Ca se voit sur les visages défraichis de nos voisins qui ont troqué leurs sacs de plage contre leur parapluie à carreaux. Leurs Havainas contre des bottes de pluie de couleur, et leur crème solaire contre une poudre teintée bonne mine. Ca se voit sur les têtes des enfants mal réveillés le matin, le cartable lourd tombant sur les épaules. Ca se voit dans les rues couvertes de feuilles mortes, l’eau qui ruisselle dans les caniveaux pas encore débouchés. Ca se voit car le ciel tumultueux est d’un gris sublime. C’est l’automne et il faudrait savoir en profiter. Parce que nous sommes bien obligés de faire un effort afin de ne pas nous laisser bouffer par cette anxiété terrifiante. Profiter de ces jours de pluie où l’on ne culpabilise pas de rester chez soi. C’est ce qui est extraordinaire avec un temps pluvieux. On peut traîner en survêtement toute la journée sans le moindre remord de ne pas avoir sorti les enfants car il fait beau. On peut se lover sous la couette, seul ou accompagné, et trainer toute la journée. Et puis, la glande ça a du bon. Plus de plage à égrainer et pas de pistes enneigées encore. Pas de prise de tête quand le week-end arrive. Plus de seaux et de pelles à porter, pas de sacs à ranger, de skis à poser sur le toit de la voiture. On est en plein art du rien foutre. On peut dormir les samedis et dimanches matins. Faire la grasse matinée. Les après-midis aussi, on ne fout rien. On regarde tout et n’importe quoi à la télé en zappant d’une chaîne à l’autre. On dessine des fleurs, des maisons en un trait pendant qu’on perd son temps au téléphone. On revoit E.T. avec son fils. On mange du Nutella à la cuillère et sans complexe, il n’y a plus de maillot à mettre. On fait une partie de Risk, de Taboo, de Trivial Pursuit ou de poker. Les soirs également, où ne se bousculent plus les soirées et autres finger food partys, on n’a pas grand-chose à faire. Si ce n’est d’aller au cinéma. Ou aller boire un verre derrière une porte verte. Timing parfait pour voir les dernières saisons des séries télévisées du moment. Timing parfait pour revoir un Bunuel, un Tarantino, Mort à Venise ou Les liaisons dangereuses – celui avec John Malkovitch bien sûr. Quoi que la version avec la Moreau… En automne fais ce qui te plait. Fais tout et n’importe quoi. Personne ne te voit. Et c’est tant mieux. Ca a du bon de se cacher un peu. De ne plus être la proie des dires. De ne plus s’exposer bon/mal gré. Chacun fait c’qui lui plait et personne ne le sait. C’est comme si les feuilles mortes protégeaient du mauvais vent. C’est beau les feuilles mortes, les arbres qui se dénudent, les rues qui se vident. Avant le grand rush. Avant décembre. Avant les fêtes. Le calme avant la tempête. Finalement cette entre saison, cette entre-deux où tout se mêle avec harmonie, est une sorte de zone tampon qui amorce la saison suivante. La rude et dure période de Noël. Alors, profitons de l’automne, de ses couleurs chaudes orangées et rouges. De ses lentes journées, de ses longues nuits où rien n’est impossible. Profitons

(Presque) tout sur ma mère – Médéa Azouri – L’Orient-Le Jour – sam. 31 octobre 09

« Un maman a tort, Deux c’est beau l’amour, Trois l’infirmière pleure… ». Tout. Quasiment tout repose sur les épaules d’une mère. Une mère est naturellement la principale pièce du puzzle humain. C’est elle qui est à l’origine de nos premières joies, de nos complexes, de nos problèmes. C’est elle, entre autres mais surtout, qui fera ce que nous sommes. « L’mama » comme on dit chez nous, nous a porté 9 mois durant. Elle nous a nourris. Nous a élevés. Nous a cajolés, bercés, endormis. Elle a soigné nos peines, écouté nos chagrins, pris dans ses bras. La fonction de mère est la somme de tous les sacerdoces, de toutes les vocations, de tous les jobs. Ce rôle tellement désiré est compliqué à tenir. Quoi qu’elle fasse, une mère se plantera toujours à un moment ou à un autre. Mère indigne ? Non. Tout simplement mère… La mère libanaise est une mère à part. Une mère avec ses vices et ses vertus. Mais beaucoup de vices. La mère libanaise aime ses enfants. Son fils surtout. Sa fille aussi certes, mais son fils surtout. Personne ne trouvera grâce à ses yeux. Personne. Ni la plus belle, ni la plus intelligente, ni la plus soumise des femmes. Aucune ne pourra jamais penser l’égaler. L’amour qu’elle a donné à son rejeton est incommensurable. Inconditionnel. Presque parfait. « Yo2borné ». C’est son vœu le plus cher. Etre enterrée avant lui. Et plus tard avec lui. C’est que le fils tant aimé reposera un jour aux côtés de sa mère. Et accessoirement près de son père. Quant à la fille, elle dormira pour l’éternité, avec ses beaux-parents. C’est moins glam. Moins oedipien. Mais elle retrouvera elle aussi et à son tour son fils (si elle en a eu un). « Yo2borné »… La mère libanaise adore son fils et il le lui rend bien. Il comparera toujours. Il épousera une femme qui lui rappellera sa mère, tandis qu’une fille cherchera (indéfiniment) celui qui lui fera oublier son père. La relation mère/fils made in Lebanon est une extraordinaire histoire d’amour. Quand son fils lui raconte quelque chose, la mère libanaise s’extasie. Approuve, encense. S’il se remet en cause, elle le soutient. L’appuie. Elle le couve, le couvre et l’applaudit s’il entreprend la moindre initiative. Avec sa fille, la mère libanaise est plus critique. Si elle lui raconte quelque chose, elle la remettra en question. Lui dira qu’elle n’a pas vu juste, pas fait assez attention. Elle la jugera. Lui rappellera qu’à son âge elle était déjà mère. La sermonnera. La taclera là où ça fait mal. Si la fille est heureuse d’avoir reçu un tas de coups de fil pour son anniversaire, sa maman répètera que c’est grâce à Facebook. Flattée d’être complimentée, d’être trouvée jolie ? C’est parce qu’elle lui ressemble. Malheureuse avec son mari ? C’est simplement parce qu’elle ne cuisine pas assez bien, pas comme elle. Son amie l’a trahie ? C’est qu’elle donne sa confiance à n’importe qui, pas comme elle. Et si maman est malheureuse à son tour, c’est évidemment parce que sa fille ne s’occupe pas assez d’elle. La mère libanaise est terrible. Douce mais violente. Gentille et cassante. La mère libanaise aimerait que sa fille soit parfaite, et, souvent, elle ne sera heureuse qu’en vivant par procuration, qu’en obligeant pratiquement sa fille à faire ce qu’elle n’a pas pu, elle, cette maman devenue trop vieille, réussir. Le pire ? Elle aimerait pouvoir tout régenter jusqu’à la fin. Des cours de taekwondo de son cadet (la mère libanaise aime la compétition entre mioches) au mariage de sa fille/de son fils (surtout de son fils) en passant par l’éducation de ses petits-enfants. Et ça, bien sûr, quel que soit son âge. Car quand la fille devient mère à son tour, elle ressemble soudainement et étrangement à sa maman. Tellement que ça en devient terrifiant. Parce que si toute sa (jeune) vie durant, la libanaise fera tout son possible pour s’affranchir du portrait de sa mère, un jour – lointain ou pas – elle finira pas lui ressembler. Physiquement, moralement, socialement. Peu importe. Elle sera comme elle. Avec ses travers, ses qualités, ses angoisses. Elle entendra ses mots sortir de sa bouche. Elle réitérera les mêmes remontrances à l’égard de sa progéniture. Elle fera les mêmes erreurs. Qu’elle le veuille ou pas. Qu’elle lui en ait voulu ou pas. Elle refera le même schéma. Dans l’ordre ou à l’inverse. Elle se mariera parfois avec un homme qui lui ressemble. Ou un homme comme sa mère a épousé. Un homme bien. De bonne famille. Ou un goujat. Un avocat, un médecin, un intellectuel. Et elle ne le réalisera que plus tard, souvent trop tard. Et quand elle deviendra mère à son tour, elle comprendra. Et se demandera une fois venu le temps des mises au point : quelle mère suis-je ? Une mère libanaise tout simplement.