Lemon incest – Médéa Azouri, L’Orient-Le Jour, samedi 21 juin 2014

Solstice d’été. Le jour le plus long. Solstice d’été. L’histoire d’amour la plus longue. La plus ambiguë, la plus complexe, la plus ambivalente. Celle d’un père et de sa fille. Une histoire en dents de scie comme toutes les autres. Une histoire qu’on oublie parfois. Coincée dans un complexe d’Œdipe qu’on a tendance à n’associer qu’aux mères et à leurs fils. De cet amour inconditionnel qu’elles portent à leur petit garçon. De cet amour qui se dégage des yeux d’un jeune enfant de 7 ans. De ce désir de percevoir plus tard, dans les femmes qu’il croisera, celle qu’il a toujours aimée. De cette volonté de la fuir lorsqu’il la (re)trouvera. Les mères. Celles qui furent les filles à papa. Pas les fils de. Les filles à papa. La fille de son père. La digne héritière. On y pense rarement. On oublie cette filiation-là. Ce rapport (extra)ordinaire entre un papa et sa fille, entre une femme et son père.
Extraordinaire parce qu’aucune relation ne ressemble à une autre. Parce que certaines filles préfèrent leur mère à leur géniteur. Parce qu’elles ne s’entendent pas avec lui. Parce qu’elles lui en veulent parfois. Parce qu’elles s’identifient à leur mère et qu’elles ne lui pardonnent pas de l’avoir fait souffrir. Parce qu’elles s’identifient à lui et qu’elles n’acceptent pas l’idée qu’elles puissent lui ressembler. Parce qu’elles ont du mal à se dégager de sa toute puissance. Parce qu’à cause de lui, elles ont du mal avec leur féminité. Elles ont du mal avec cette image renvoyée par le miroir de ses yeux à lui. Parce qu’elles n’ont pas été un petit garçon. Parce qu’elles n’ont pas joué au foot, aux échecs ou à la bagarre avec lui comme leur frère le faisait. Parce que ce papa s’est trop vite transformé en père. Père inquisiteur qui ne les a jamais laissé trouver un homme à sa hauteur. Père tyrannique qui leur a imposé sa vision des choses. Père sévère qui a persévéré dans son autorité abusive.
Rapport extraordinaire, parce que certaines filles n’ont d’yeux que pour lui. Parce qu’aucun homme ne pourra jamais le remplacer. Parce qu’aucun autre homme ne pourra jamais le lui faire oublier. Parce que c’est lui qui sera toujours le plus fort, celui qui chasse les monstres qui se logent en dessous de son lit, celui qui la porte sur ses épaules pour qu’elle voie plus haut. Les relations père-fille sont étranges. Une fois la puberté atteinte, celui qui a été son papa, celui sur les genoux duquel elle s’asseyait, à qui elle faisait des câlins, devient un père. On ne cajole plus son père quand on grandit. On ne lui fait plus des mamours. On ne s’allonge plus à côté de lui sur son lit pour écouter ses histoires. Une distance s’installe avec cet homme-là. Ce mâle-là. Ce mal-là pour certaines. Et celui qui lui disait qu’elle était la plus belle, la plus mignonne devient plus dur. Plus exigeant. Il n’aime pas ses tenues trop sexy. Il n’aime pas ses mauvaises notes à l’école. Il n’aime pas l’heure à laquelle elle rentre. Il lui impose un couvre-feu. Il n’aime pas ses petits amis. D’ailleurs il lui a toujours dit qu’il tuerait celui qui s’approcherait d’elle. Sympa pour le prince charmant. Ya ma7la le dragon. Ya ma7la la belle-mère. Sympa, surtout si le papa/père a toujours été génial, malgré les altercations dues à l’adolescence ou à l’âge adulte. S’il a été aimant, tendre, généreux, admiratif, complice. Et s’il l’est toujours, comment fera-t-elle ? Comment fera-t-elle pour dé-idéaliser son père, pour réussir à échanger son nom de famille contre celui de son homme, pour se faire un prénom. Pour ne pas lui revenir en cas de rupture amoureuse. En cas de divorce. Pour ne pas se laisser aller à redevenir la fille à son papa. La princesse de son papa.
Rapport extraordinaire que le lien père fille, parce qu’il est à l’origine de beaucoup de choses. Des choses positives et finalement ordinaires. Surtout quand elle hérite de lui, quand elle est son versant féminin. Ce rapport sera à l’origine de l’ambition, du désir de liberté, de son épanouissement, de sa réussite. Ce rapport deviendra une grande amitié. Se logera dans une grande complicité comme quand elle était petite. Elle l’appellera à nouveau papounet, papi, papou, daddy, baba. Il lui coloriera à nouveau des hippopotames et des crocodiles. Bonne fête papa…