Oui, c’est vrai que Noël, aujourd’hui, ce sont des photos de famille postées en veux-tu en voilà sur les réseaux sociaux. Des mini-vidéos sur Instagram où toute la tribu danse, faussement déguisée en lutins, et où les voix qui chantent Jingle Bells sont synthétisées façon hélium. Le sourire mièvre des gamins, immortalisé devant la crèche (tiens, une crèche), sise au milieu de tous les malls de la ville, et leurs cris quand un faux Père Noël en Converse s’approche d’eux hérisseraient les poils de l’âne et du bœuf en plastique de ladite crèche. Ah, ceux qui n’aiment pas le rouge et le vert, les barbes et les pompons blancs, les indomptables anti-Noël, les réfractaires des réveillons, les écœurés de la bûche en auront, cette année encore, pour leur argent. Ou pas, justement. Et bien, c’est pas grave…
Ce n’est pas parce qu’on n’a plus 7 ans, qu’on ne croit plus au Père Noël, qu’on n’accroche plus de boules depuis belle lurette au non arbre qui ne trône plus dans la salle de séjour, qu’on ne souhaite pas voir les derniers membres de la famille et qu’on n’a plus envie de recevoir la énième écharpe, eh bien, on n’y échappera pas. On n’échappera pas à Noël. Et pourquoi pas. Pourquoi ne pas se laisser tenter par le tintement des cloches, par la dinde fourrée aux marrons, par les oranges givrées et les emballages en papier glacé argenté. On râle en permanence contre le consumérisme de Noël, contre le polyester des Papas Noël en vitrine, contre ce coup de blues que nous impose le mois de décembre, l’équinoxe qui sonne le glas de l’automne, ces journées trop courtes, ce froid trop absent ou trop humide, ces dizaines de SMS de boutiques et de restos où on n’a jamais été, ces dépenses souvent inutiles et cette sempiternelle question mensuelle: «Que fais-tu au Nouvel An?» Eh bien on devrait arrêter. On devrait arrêter et se laisser prendre par l’émotion qui se dégage du sourire mièvre de ce gamin, immortalisé devant la crèche sise au milieu du mall. Parce que la crèche y est encore. Parce que malgré tout, on ne va pas se laisser bouffer par l’extrémisme (à défaut de laïcité) et l’horreur, parce que sinon ils auront gagné, et parce que, malgré tout, on a aussi envie de se casser les dents sur la fève de la galette des Rois mages : européen, asiatique et africain. Comme quoi…
Archives mensuelles : décembre 2014
Toys – Médéa Azouri, L’Orient-Le Jour, samedi 13 décembre 2014
Eh bien justement. À l’instar de certaines chansons qu’on ne fredonne plus, un grand nombre de jouets sont passés aux oubliettes. Et, honnêtement, les nouveaux joujoux, on n’y comprend rien. C’est compliqué, bizarre et cher. Et même ceux qui ont résisté à l’envahisseur du numérique et autres jeux vidéo ont effectué quelques changements qui nous ont déboussolés. Ah, le Monopoly cartes de crédit est devenu bien triste. Parce qu’avouons qu’entasser les billets devant soi et en faire une liasse pour acheter deux hôtels rue de la Paix est plus grisant que de se faire débiter ou créditer sa carte bleue ou noire ou verte. Pareil pour la version électronique, sans grande utilité. Le parcours du combattant qui essaye de sauter la case prison, c’est un grand moment de jeu. Et de souvenirs. Comme le Risk par exemple. Est-ce qu’on joue encore au Risk quand on est gamin? Est-ce qu’on sait ce qu’est la stratégie ou préfère-t-on buter de méchants terroristes dans un jeu violent interdit aux moins de 18 ans et que tous les pré-ados de 10 ont sur leur PS4 ?
Parlons-en de la PS4, qui ne lit pas les jeux de PS3 et qui sort chaque saison une nouvelle version des Sims, de la Fifa, qui se trouveront certes sous le sapin cette année, puis dans un tiroir à Pâques prochain. Dix jeux commandés. Faut vendre un rein pour se les procurer. D’ailleurs, Docteur Maboul résiste encore. Lui, ses reins, son foie et son cœur. Il est un des derniers, avec Puissance 4, à rappeler aux parents à quoi ils jouaient avant. Que ce soit dans les années 60, 70 ou 80. Et La Bonne Paye? Le Télécran, le Mastermind, l’Arbre magique, Touché-coulé, les Petits soldats, est-ce qu’ils y jouent encore? D’ailleurs, existent-ils toujours ?
Quand on traîne devant les étagères des derniers et rares magasins de jouets qui ont laissé la place aux rayons de l’espace jeux des grands magasins et mégastores pour enfants, on est totalement perdu. Entre les Trashpacks qui sont so last season, la Violetta estampillée partout, le Scrabble junior que l’on ne trouve qu’en anglais (heureusement qu’on y joue encore), les Skylanders, la Barbie Zuhair Murad, les megaboîtes de Lego (heureusement qu’on y joue encore) à des prix exorbitants et qui seront montés par les parents le 25 au matin, et rangés plus tard dans une grande boîte ; les jeux que les gamins voient dans les pubs télé françaises et qui n’existent pas au Liban, les poupées qui parlent, pleurent, pissent, chantent et nous gonflent, et les accessoires pour vélo, on n’y comprend plus rien. Avant, on offrait une bicyclette. Point. Maintenant, c’est un vélo avec pédales aérodynamiques, casque, mitaines, protège-genoux, protège-coudes, socle pour la gourde, la gourde, le maillot, le moule machin. Deux reins à vendre cette fois.
Et on oublie les CD. Tellement obsolètes. Finis les walkman, les discman, le cadeau musical c’est désormais iPod, USB et cartes iTunes rapportées des USA ou d’Europe. On passe sur le trip du téléphone portable qui change chaque année, et hop un rein supplémentaire. Et on sait. On sait pertinemment que tout ça finira dans le cimetière des jouets oubliés.
Sauf que. Sauf que le meilleur moyen de ne pas se sentir cons et à la merci de nos spoiled brats, c’est de donner tout ça aux gamins qui en rêvent et qui n’y ont pas accès. Un geste, juste un geste. Avec associations ou en solo, un cadeau. Juste un.
9e symphonie – Médéa Azouri, L’Orient-Le Jour, samedi 6 décembre 2014
Faites vos jeux – Médéa Azouri, L’Orient-Le Jour, samedi 29 novembre 2014
d’expérience.
L’inconscient aussi, l’inconscient surtout. Il a conditionné nos choix amoureux. Toujours le même pattern. Le même type de mecs ou de bonnes femmes. Des voyous ou des p’tites frappes, des filles aux mœurs légères, des gold diggers. Des gens torturés pour qui on devient un souffre-douleur. Des gens qui font mal. Des gens qui n’apportent rien. Et des départs qu’on retarde, des relations qu’on n’arrive pas à stopper. Des relations inutiles. Des choix suicidaires. J’épouse le mauvais ou la mauvaise parce que je me punis. De qui, de quoi ? Une grande énigme. Qu’ils soient grands, petits, blondes, brunes, banquiers, losers, pétasses ou de bonne famille. Ce sera toujours le même profil, hors mensurations et autres mesures. La même histoire avec le même schéma. Je recherche ma mère, j’essaye d’oublier mon père. Un faux pas puis un autre, et encore un autre. Déterminés par quoi ? Ou par qui ? Eh oui, par qui ? Papa, maman, un(e) ex. Une mauvaise première histoire. Un conditionnement. On aimerait bien changer. Casser le destin. Avoir son libre arbitre et envoyer valser cette redondance. Rebelote. Pas toujours heureusement. Mais rebelote. Mauvais choix avec une démission, un nouveau job, une nouvelle femme, pas d’enfant, un troisième pour sauver le couple.
Mais alors, quoi faire ? Quoi faire pour ne pas se planter ? Jouer à pile ou face ? Consulter une voyante ? Faire le choix contraire ? Demander un signe dans le genre du rêve prémonitoire ? Apprendre. Juste apprendre du passé.
La gentillesse est une (vilaine) qualité – Médéa Azouri, L’Orient-Le Jour, samedi 22 novembre 2014
La gentillesse est périlleuse. Un exercice où l’on se casse souvent les dents. Parce qu’elle nous expose aux autres, parce qu’elle repose sur la sensibilité aux autres. Parce qu’elle demande de l’empathie ou de l’identification, des sentiments. Le problème, c’est que l’ère d’individualisme dans laquelle nous avons plongé tête la première a travesti notre capacité à aimer les autres. On installe une distance entre eux et nous, pour nous préserver de toute douleur, comme si la solitude était le prix inévitable à payer pour se protéger. Difficile d’être gentil dans ces cas-là. Difficile de l’être quand on a peur. Mécanisme de défense. Je te déjeune avant que tu ne me dînes. Parce que si je suis gentil(le), c’est comme si je te montrais mon flanc. Parce que si je suis gentil(le), tu en profiterais. Parce que si je suis gentil(le)…
On pense qu’en likant un status sur les réseaux sociaux, en mettant un petit RIP quand un faux «friend» perd sa mère ou en souhaitant un joyeux anniversaire à quelqu’un qu’on ne connaît pas, on fait preuve de gentillesse. Oui… mais non. Pianoter sur un clavier, envoyer de petits «ça va?», ce n’est pas de la gentillesse. Ce n’est rien. C’est souvent du vent coincé entre deux messages envoyés ailleurs, entre deux lignes écrites en même temps. Rien qu’un courant d’air. Malheureusement, on a fini par se contenter du minimum syndical requis. Un sourire qui nous surprend, un «pardon» qu’on apprécie, un compliment qu’on ne comprend pas. On est toujours très étonné quand quelqu’un est gentil. Gentil avec nous. On nous remercie si on ouvre une porte, si on fait un geste, si on dit un mot sympa. C’est dire ce qu’il est advenu de nous. Des petits cœurs. Haram, elle est gentille.
Haram… On préférera utiliser un autre vocabulaire pour décrire quelqu’un de foncièrement bon. Tiens. Foncièrement bon. Il/elle a de la compassion, de la solidarité, de l’empathie. C’est un altruiste. Un vrai. Au cas où il y en aurait des faux. Ceux-là mêmes qui font semblant pour avoir quelque chose en retour. Quelque chose en échange. Quand on est gentil(le) par essence, quand c’est inscrit dans votre ADN, quand c’est votre pattern, ça se voit. Ça se sent. Pas besoin d’attendre quelque chose en contrepartie. What goes around, comes around. Le karma quoi. Ce n’est pas parce que Noël approche, pas pour une quelque rédemption ou la miséricorde, qu’on parle de gentillesse. Ni parce que c’était la Journée mondiale de la gentillesse il y a une semaine. Non, c’est juste comme ça. Parce que ça ne coûte rien et ça rapporte beaucoup. Même si c’est cliché, même si ça fait sentimental ou moraliste bon marché. C’est beau la gentillesse, au sens noble du terme – on est toujours obligé de le préciser. Bête et gentil? C’est toujours mieux que bête et méchant. Eux, ce sont les pires
Dis-moi tout – Médéa Azouri, L’Orient-Le Jour, samedi 15 novembre 2014
«Tu as quel âge?» C’est le genre de question qu’on n’aime pas entendre. Soit on se trouve trop jeune, soit pas assez. Combien tu gagnes? Combien ça coûte? Combien tu as payé? Es-tu heureux? Tu l’aimes encore?
On connaît par cœur le côté intrusif des gens que l’on côtoie. On sait qu’ici, plus qu’ailleurs, on aime tout savoir des autres. Que les autres aiment particulièrement s’introduire là où ils ne sont pas invités. Ça, on le sait et ça ne surprend plus. On en joue, on en rit, on répond, on tacle, on envoie paître sur les roses ou le fumier. Et surtout on ne cherche plus à comprendre. Aimer tout savoir de son prochain est inscrit dans notre ADN comme la drague chez tout Italien qui se respecte ou l’ultra-efficacité des Germaniques. Chez nous, l’intrusion, c’est sport national. Par contre, ce que l’on ne réalise pas du premier coup, c’est que l’impudeur dans le questionnement chez les autres réside aussi dans le «dévoilage». Pas comme dans l’exhibitionnisme ostentatoire que l’on connaît ou l’étalage de richesses et de biens. De photos de bonheur sur les réseaux sociaux ou du dernier voyage qu’on a fait aux Maldives. Non. Le plus surprenant dans cette histoire, c’est qu’on est passé en mode confidences. Confidences impudiques. Pas sur oreiller, ni au confessionnal, ni sur un divan, ni dans le « Courrier des lecteurs ». Non. Ces aveux se font comme ça. En plein milieu d’une conversation de courtoisie. Devant la tête de gondole des lessives au supermarché. Dans la salle d’attente de l’orthodontiste ou dans les vestiaires de la salle de gym. «Tu en as de la chance d’avoir divorcé, ça ne va pas du tout avec ma femme.» «Tu l’as quitté parce que tu avais un amant? Moi ça fait deux ans que je me tape un homme marié.» Ah mais je ne veux pas savoir. Parce que, à la base, je ne savais pas que ça n’allait pas. Et parce qu’on n’a pas élevé les vaches ensemble ni donné à manger aux chèvres en haute montagne. On n’a pas une quelconque intimité pour que soudain, je sache ce qui se passe chez toi. Pudeur: sentiment de honte, de gêne qu’une personne éprouve à faire, à envisager des choses de nature sexuelle (généralement). Gêne qu’éprouve une personne délicate devant ce que sa dignité semble lui interdire. Discrétion. Réserve. Retenue.
Pourquoi ces confessions? Pourquoi moi? Pourquoi maintenant? Parce que lorsque quelqu’un a fait le pas de démissionner, de larguer, de partir, de rompre, d’oser, il/elle donne envie. Il/elle donne l’exemple. Alors on a envie de lui avouer nos failles et nos faiblesses. De lui confier que nous aussi, on aimerait bien. De lui dire qu’on a le même fantasme, le même désir mais qu’il est refoulé. Parce que l’autre semble parfois plus fort(e). Plus solide. Qu’assis(e) à côté de nous, le visage serein avant de faire un pet scan et feuilletant un numéro de Femme Magazine d’avril 2003, il/elle donne envie qu’on lui raconte que ça ne va pas à la maison. Que ça ne va pas tout court. Que quand on le/la voit derrière son chariot rempli d’aliments gluten free, on a envie de lui faire part de nos sentiments sans honte aucune. De lui raconter que notre gamin est nul à l’école, que notre meilleure amie nous a trahi, qu’on vient de faire son coming out à nos parents médusés, notre abstinence imposée, notre salaire plus que moyen. Et l’autre éberlué(e) par autant d’intimité, ne comprend pas. Ne comprend pas pourquoi, sans crier gare, on vient de lui endosser le costume de psy ou de conseiller matrimonial. Il ne comprend pas et on le comprend. Parce qu’il est plus facile de parler à des quasi-inconnus. De se dévoiler, de s’épancher quand l’autre nous connaît à peine. Parce que quand on est entouré(e)s de gens qui ne sont pas et qui ne vivent pas comme nous, on ne sait plus à qui s’adresser. Parce qu’on se sent de plus en plus seul(e) peut-être?
Malheureusement.